Cet arrêt aborde un sujet qui de longue date divise les praticiens. En effet les baux emphytéotiques (et moins fréquemment à construction) conclus sur des immeubles occupés peuvent-ils énoncer qu’ils substituent au bailleur initial propriétaire perpétuel un nouveau bailleur investi d’un droit réel seulement temporaire ?
Après avoir pris à bail emphytéotique un immeuble occupé, l’emphytéote avait délivré à l’un des locataires un congé avec offre de renouvellement du bail moyennant un loyer déplafonné puis l’avait assigné en fixation du prix du bail renouvelé.
Pour déclarer recevable l’action en fixation du prix du bail renouvelé intentée par l’emphytéote, la Cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 3 arrêts des 14 avril 2021 et 3 novembre 2021) avait retenu que les parties au bail emphytéotique considéré étaient convenues que l’emphytéote fasse son affaire personnelle de la situation locative des biens et gère directement l’immeuble dans lequel se trouvaient les locaux précédemment donnés à bail commercial, en sorte qu’il aurait de ce fait endossé la qualité de bailleur à l’égard de la locataire.
Au visa de l’article 1165 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (principe désormais repris sous l’actuel article 1199 du même code) selon lequel « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes […] », la Haute juridiction censure cet arrêt : un preneur à bail commercial ne peut pas se voir opposer les termes du bail emphytéotique conclu postérieurement, notamment ceux qui confèrent à l’emphytéote la qualité de bailleur à son égard.
Cet arrêt aborde un sujet qui de longue date divise les praticiens. En effet les baux emphytéotiques (et moins fréquemment à construction) conclus sur des immeubles occupés peuvent-ils énoncer qu’ils substituent au bailleur initial propriétaire perpétuel un nouveau bailleur investi d’un droit réel seulement temporaire ?
Rappelons que l’emphytéote peut librement louer les immeubles objet de son bail ; si ces locations relèvent du champ d’application du statut des baux commerciaux statutaires, elles sont soumises à ce statut. La durée du bail, ou du renouvellement, consenti au « sous-locataire » ne peut cependant avoir pour effet de prolonger son occupation des lieux au-delà de la date d’expiration du bail emphytéotique ; l’emphytéote ne peut en effet conférer plus de droits qu’il n’en détient lui-même.
Toutes les conventions consenties par le preneur expirent en même temps que l’emphytéose ; le bail commercial statutaire n’y fait pas exception. Le « sous-locataire » ne peut ni bénéficier d’un droit direct au renouvellement, ni prétendre à une indemnité d’éviction à l’encontre du propriétaire. Il demeure cependant loisible à ce dernier, soit dans le bail, soit ultérieurement, de manifester sa volonté de reconnaître le sous-locataire comme locataire des locaux et poursuivre le bail consenti par l’emphytéote en vigueur jusqu’à l’expiration de l’emphytéose. Il en est d’ailleurs de même en matière de bail à construction.
Or, du fait de la longue durée inhérente aux baux superficiaires, d’une part, et du cycle de renouvellement le plus habituellement observé au titre des baux commerciaux, d’autre part, il est fort probable qu’au bail en cours lors de la prise d’effet du bail se sera substitué un (voire plusieurs) renouvellement(s) consenti(s) par le preneur emphytéotique.
Comme un tel renouvellement est un constitutif d’un nouveau bail, l’on décèle immédiatement la dégradation objective de la situation du preneur commerçant exploitant dans les lieux ; il pourra se voir opposer à l’issue du bail la déchéance de son titre (en vertu du principe général ci-dessus exposé) par le nouveau bailleur (ou son ayant-cause) qui lui aura été ainsi imposé.
La solution adoptée par l’arrêt (à laquelle il a pu être reproché de faire obstacle à investir l’emphytéote des mêmes attributs que ceux dont disposait jusqu’alors son propre bailleur) se révèle donc avant tout logique. Elle impose l’accord du preneur à bail commercial.
Cet accord peut fort bien être donné par anticipation dans le bail commercial ; outre le cas de la vente l’immeuble, très habituellement prévu, celui de la passation d’un bail emphytéotique (ou à construction) sera opportunément envisagé. Face à une telle stipulation, le preneur à bail commercial sollicitera probablement que, dans l’hypothèse où lui-même, ou son ayant-cause, sera demeuré dans les lieux tout le cours de l’emphytéose, le bailleur emphytéotique en place à l’expiration de cette dernière s’engage à poursuivre le bail renouvelé alors en vigueur. Cela conduira, tout aussi probablement, à prévoir dans le bail emphytéotique la soumission à approbation de son bailleur des conditions de renouvellement de tels baux par l’emphytéote. Ceci est tout à fait possible, aucune atteinte n’étant portée à la faculté de ce dernier de conclure librement des baux qui expireront alors en fin d’emphytéose (cf. supra)
Relevons qu’il n’est pas (plus) raisonnablement envisageable de pratiquer comme il l’avait été fait en l’espèce : en effet, s’il n’est pas impossible pour un propriétaire de consentir successivement sur un même bien un bail commercial puis un bail emphytéotique sans le consentement du locataire commercial, c’est à la condition de conserver sa qualité de bailleur ; la situation ainsi créée s’avère ubuesque ; elle rend impossible la plénitude d’exercice des attributs d’usus et de fructus attachés à la qualité de preneur superficiaire.
A n’en pas douter la passation d’un bail emphytéotique (ou à construction) sur un immeuble occupé impose une anticipation de ce projet. On le pressentait : c’est maintenant chose certaine au vu de l’arrêt commenté.