Cheuvreux Paris

La société civile de construction vente (SCCV) entre bailleurs sociaux et opérateurs privés

30 Juin 2022 Newsletter

La production de logements a longtemps été répartie en deux grandes familles d’opérations : celles destinées à la production de logements aidés, réalisées sous maîtrise d’ouvrage des bailleurs sociaux et intermédiaires dans le cadre des règles des marchés publics ; et celles sous maîtrise d’ouvrage privée destinées essentiellement aux logements libres. Il faut cependant bien admettre que les ambitions de production de logements sociaux ne seront jamais satisfaites par les seules opérations sous maîtrise d’ouvrage des organismes HLM, malgré les outils de maîtrise foncière dont ils disposent.

Corrélativement, les objectifs de mixité portés par le législateur et traduits dans les documents d’urbanisme provoquent nécessairement une offre de logements sociaux à construire par les opérateurs privés. Cela explique qu’une importante partie des logements produits pour le compte des bailleurs sociaux soit aujourd’hui réalisée par la conclusion de ventes en l’état futur d’achèvement (« VEFA ») auprès de promoteurs privés. Certes, de nombreux bailleurs sociaux souhaitent préserver leurs compétences de maîtrise d’ouvrage, pour que les logements répondent le plus possible à leurs besoins et à ceux de leurs locataires. Parfois même, lorsque cela est techniquement envisageable, les bailleurs sociaux et opérateurs privés interviennent en co-maîtrise d’ouvrage dans le cadre d’un groupement de commandes. Mais le recours à la VEFA est une réalité qu’on ne peut ignorer[1] et il est donc indispensable de promouvoir les solutions juridiques qui permettent, dans le cadre de ces ventes, de répondre au mieux aux exigences des bailleurs sociaux.

 

Des VEFA mieux maitrisées par les bailleurs sociaux

Ces solutions existent déjà sur le terrain des contrats de vente. Les textes et jurisprudences les plus récents favorisent cette réalisation de logements sociaux, en dehors du champ de la maîtrise d’ouvrage publique et des règles de passation des marchés publics, alors même qu’ils répondent à des caractéristiques déterminées par le bailleur social. Ces opérations se développent soit dans le cadre de réalisation de logements imbriqués dans des programmes immobiliers plus vastes (article L. 1312-1 du Code de la commande publique (« CCP ») pour les contrats à objet mixte, et R. 2122-3 du CCP pour les marchés publics conclus de gré à gré pour des raisons techniques), soit dans le cadre de « VEFA d’opportunité » lorsque l’acquisition d’un immeuble entier porte sur un ouvrage « sur le marché », entendu comme celui dont la construction est a minima « planifiée et prête à être réalisée » (CJUE, 22 avril 2021, Com c/Autriche, Aff. C-537/19). Il est d’ailleurs important de noter que la Cour de Justice de l’Union Européenne est attentive aux pratiques commerciales courantes s’agissant de ce type d’immeubles et qu’elle a apporté à ce sujet deux précisions majeures. D’une part, le dépôt du permis de construire préalablement à la vente n’est pas une condition sine qua non du recours à la VEFA d’opportunité puisqu’il est habituel, selon la Cour, s’agissant de projets de grande ampleur, que le maître d’ouvrage n’entame la procédure formelle d’obtention du permis qu’une fois qu’il dispose d’engagements de la part des investisseurs futurs pour une partie importante des surfaces. Le droit de l’Union apparaît à cet égard plus ouvert que la rédaction actuelle de l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation (« CCH »)[2]. D’autre part, les demandes concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante du bailleur social que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur des exigences habituelles d’un investisseur. Cela devrait ainsi permettre aux bailleurs de mieux maîtriser les niveaux de prestations des logements qu’ils achètent.

 

Le rôle renforcé des bailleurs sociaux en tant qu’associés d’une SCCV qui leur vend les logements en VEFA

A ce partenariat contractuel il est possible d’ajouter une solution institutionnelle qui permettrait de renforcer la confiance et les liens nécessaires entre les opérateurs privés et les bailleurs sociaux, pour développer de meilleures opérations de logement sous maîtrise d’ouvrage privée.

Cette voie institutionnelle a été ouverte par le législateur à titre provisoire par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi « ALUR ») du 24 mars 2014, puis pérennisée par la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi « ELAN ») du 23 novembre 2018. Alors que les possibilités de partenariats entre les bailleurs sociaux et des partenaires publics ou privés sont strictement limitées par le CCH, le législateur a souhaité « favoriser la construction de logements sociaux dans des programmes privés qui se verront ainsi instiller une mixité sociale », en offrant la possibilité aux OPH, SA HLM, et sociétés coopératives, en vertu respectivement des articles L. 421-1, L. 422-2 et L. 422-3 du CCH, « d’acquérir dans le cadre de l’article L. 261-1, à due concurrence de leurs apports, des logements mentionnés à l’article L. 411-2 auprès d’une société civile immobilière dans laquelle elles détiennent des parts et dont l’unique objet est la construction d’immeubles d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation en vue de leur vente, à la condition que cette société réalise au moins 25 % des logements mentionnés à l’article L. 411-2 et soit constituée pour une durée n’excédant pas dix ans ». Ces textes posent plusieurs conditions qu’il convient naturellement de respecter rigoureusement. A cet égard, et bien que certaines formules employées par le législateur soient sujettes à interprétation, il nous semble que ces conditions fixent un cadre clair pour ces partenariats autour de la constitution de la société (1), de son objet intégré dans un objectif de mixité (2), et de la position du bailleur social en tant qu’associé (3).

1) Constitution et forme de la société

La société civile doit être constituée pour une durée maximum de dix ans qui doit être indiquée dans les statuts. Elle doit prendre la forme d’une société de construction vente, dite SCCV, régie par les dispositions spécifiques des articles L. 211-1 à L. 211-4 du CCH et R. 211-1 à R. 211-6 du CCH, outil classiquement utilisé par les promoteurs et investisseurs institutionnels, tant pour des raisons fiscales (bénéfices taxés au niveau des actionnaires) que de financement (les associés sont tenus indéfiniment sur leurs biens propres des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital).

Au-delà des statuts, il sera toujours recommandé à l’associé minoritaire de conclure un pacte d’associés, notamment pour garantir une certaine stabilité de l’actionnariat. Ce pacte serait également le lieu pour traiter du sort de la société à l’échéance des dix ans (notamment pour la gestion des responsabilités et assurances), notamment si les textes devaient évoluer à ce propos pendant cette période.

2) Objet de la société et objectifs de mixité en termes de programme et de logements

La SCCV doit avoir pour « unique objet la construction d’immeubles d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation en vue de leur vente ». Malgré l’apparente restriction posée par le texte, on peut penser que la volonté du législateur était d’insister sur l’objet central de ces sociétés et non d’empêcher la SCCV de réaliser des programmes de logements qui, devant s’inscrire dans la ville et répondre aux besoins des habitant, comporteraient également en pied d’immeuble des surfaces de commerces. Cela irait à contresens tant de l’enjeu de mixité programmatique qui a motivé la création de ces SCCV entre les opérateurs privés et les bailleurs sociaux, que de l’évolution des compétences des organismes HLM qui deviennent de véritables acteurs de la politique de la ville et de la revitalisation des territoires.

Le programme doit également prévoir la réalisation d’au moins 25% de logements mentionnés à l’article L. 411-2 du CCH , c’est-à-dire des logements locatifs conventionnés (PLS, PLUS, PLAI) et des logements en accession sociale. Le texte est silencieux sur le calcul des 25% de logements mais, là encore, cela ne doit pas freiner le recours à ces SCCV car les travaux parlementaires et l’objectif de mixité permettent d’aiguiller suffisamment l’interprétation qu’il convient d’en faire en privilégiant, d’une part, une approche au nombre de logements (25% des logements réalisés et non des surfaces) et, d’autre part, un décompte par programme et non à l’échelle de l’ensemble des programmes portés par une même SCCV[3].

3) Situation du bailleur social en tant qu’associé de la SCCV

Le bailleur social ne doit pas obligatoirement être un associé fondateur et peut devenir associé après la constitution de la SCCV, notamment après dépôt du permis de construire. Il devra alors acquérir des logements sociaux construits par la SCCV, via une vente d’immeuble à construire qui pourra être réalisée dans le cadre des solutions déjà indiquées qui permettent clairement, dans certains cas, une contractualisation en dehors des procédures de passation des marchés publics (à défaut, lesdites procédures devraient être respectées dès le choix du partenaire privé de la société).

Le texte indique par ailleurs que le bailleur social doit « acquérir des logements à due concurrence de ses apports », impliquant une règle de proportionnalité entre la part de capital détenue par l’organisme HLM et la part de logements sociaux dans l’opération portée par la SCCV. Autrement dit, pour calculer la quote-part de participation au capital social, il convient de rapporter le nombre de logements acquis par l’opérateur social au nombre de logements vendus dans le programme. En pratique c’est ce pourcentage qui déterminera le pourcentage de participation de l’organisme HLM dans la SCCV. Ce pourcentage peut être inférieur à 25 %, pour autant que la SCCV réalise une partie sociale complémentaire pour atteindre les 25%, partie qui serait donc vendue à des personnes autres que l’organisme HLM associé. Le pourcentage peut naturellement être supérieur à 25% dans la mesure où cette proportion de logements sociaux dans le programme est un minimum.

En dehors du capital de la société, son financement par le bailleur social, légalement autorisé à s’associer dans une SCCV, devra satisfaire aux appels de fonds prévus à l’article L. 211-3 du CCH. Ces appels de fonds pourront lui être réclamés dans les proportions de sa quote-part de capital et uniquement pour permettre l’accomplissement de l’objet social de la SCCV dans le cadre de l’exécution des contrats de ventes d’immeubles à construire et de l’achèvement du programme.

Un mot enfin sur la situation de la SCCV du point de vue des règles de la commande publique s’agissant des marchés qu’elle devra conclure. C’est une question récurrente à laquelle il convient néanmoins d’apporter une réponse au cas par cas. On peut cependant retenir que la qualification de pouvoir adjudicateur dépendra de deux critères cumulatifs consistant à rechercher, d’une part, si la société a été créée pour satisfaire un besoin autre qu’industriel et commercial et, d’autre part, si elle se trouve sous « influence publique » (cf. art. L. 1211-1 du CCP). Sur la première condition, le juge tâchera de vérifier s’il y a un « risque que la société se laisse guider dans ses décisions par des considérations autres qu’économiques » (concl. S. Alber sur l’aff. C-18/01) » ou, à l’inverse, si on est en présence d’une société que le pouvoir adjudicateur associé soutiendrait à tel point qu’elle ne supporterait plus le risque financier inhérent à ses décisions. Sur la seconde condition, tout dépendra de la situation majoritaire ou minoritaire de l’organisme HLM dans la société et, même dans ce second cas, il conviendra donc d’étudier les statuts et pactes d’associés pour vérifier que le bailleur social n’est pas en position d’influencer seul les décisions stratégiques.

Ainsi, la SCCV semble être de nature à créer un partenariat entre les opérateurs privés et les bailleurs sociaux plus transparent, les engageant dans un projet d’intérêt commun dans lequel l’organisme HLM aurait un rôle à mi-chemin entre une intervention directe et autonome sous sa maitrise d’ouvrage et le recours à une simple VEFA. Les bailleurs sociaux disposent donc aujourd’hui d’outils leur assurant une relation équilibrée, contractuellement ou institutionnellement, avec les opérateurs privés qui contribuent, eux aussi, au développement d’une offre de logements de qualité.

Raphaël Léonetti, notaire associé, responsable du Lab

 

[1] La part de la VEFA dans la production de logements sociaux a considérablement augmenté ces dix dernières années, passant de 1% en 2007 à 39% voire 63% en zone A en 2017 : v. « La part croissante de la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) dans la production de logements sociaux », conjoncture 67, Groupe Caisse des dépôts, mai 2017.

[2] « Un organisme d’habitations à loyer modéré mentionné à l’article L. 411-2 ou une société d’économie mixte peut, dans le cadre de l’article 1601-3 du code civil ou des articles L. 262-1 à L. 262-11 du présent code, acquérir (…) des logements inclus dans un programme de construction, à la condition que celui-ci ait été établi par un tiers et que les demandes de permis de construire aient déjà été déposées. »

[3] Dans les travaux préparatoires de la loi ELAN déjà cités on lit que « L’idée sous-jacente est de favoriser la construction de logements sociaux dans des programmes privés qui se verront ainsi instiller une mixité sociale (…) et des partenariats entre SA d’HLM et opérateurs privés pour des programmes immobiliers de manière à y favoriser l’insertion de logements sociaux, puisque la SA d’HLM peut elle-même se rendre acquéreur (…) des 25 % de logements sociaux réalisés par la SCCV dans le programme (…) ».




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