Le recours aux installations photovoltaïques existe depuis plusieurs années et devrait encore se développer dans le cadre d’une politique publique qui a pour objectif d’améliorer la performance énergétique des bâtiments, s’inscrivant dans une volonté plus globale de lutter contre le réchauffement climatique. Les lois dites Climat et Résilience du 22 août 2021 et « EnR » du 10 mars 2023 ont en effet intégré une obligation de solarisation ou de végétalisation en toiture des bâtiments et des parcs de stationnement (art. L. 174-4 CCH ; art. L. 111-19-1 C. urb. et art. 40 de la loi EnR). De plus, l’article 54 de la loi EnR a introduit dans le Code de l’énergie des dispositions spécifiques à la production d’électricité à partir d’installations agrivoltaïques (Art. 54 de la loi EnR ; D. n° 2024-318 8 avril 2024 (art. R. 314-110 à R. 314-113 C. énergie)), qui sont des installations « de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l'installation, au maintien ou au développement d'une production agricole » (Art. L. 314-36 C. énergie).. Ces panneaux photovoltaïques, comme toute autre installation, sont susceptibles d’être affectés par des désordres.
Pourtant, il existerait une certaine « frilosité » des assureurs pour garantir les installations photovoltaïques (V. not. Rép. min. n° 12305, JOAN 20 février 2024, p. 1215). L’article 110 de la loi EnR prévoyait ainsi que le gouvernement devrait remettre au Parlement « un rapport sur le caractère assurable des centrales photovoltaïques en toiture et sur l’éventualité de la mise en place d’une assurance d’État pour couvrir ce besoin ». Ce rapport ne devrait finalement pas voir le jour (S. d’Auzon, « Assurance du photovoltaïque en toiture : le rapport aux oubliettes », Le Moniteur, 23 avril 2024) car celui sur l’assurabilité des risques climatiques remis au gouvernement le 2 avril 2024 comporte une annexe 3 relative à « L’assurance des panneaux photovoltaïques sur toitures ». Les auteurs de ce rapport soulignent que l’ « ’assurance de responsabilité civile décennale s’applique aux travaux de réalisation d’installations photovoltaïques, que le bâtiment soit neuf ou existant, et ce quelle que soit son ancienneté » mais que les assureurs ont pu être méfiants en raison des nombreuses difficultés techniques qui ont pu survenir à l’occasion de la pose de panneaux photovoltaïques par intégration au bâti. Néanmoins, selon le rapport, les modules photovoltaïques sont désormais en pratique davantage surimposés plutôt qu’intégrés au bâti et les difficultés d’assurabilité auraient diminué sur ces cinq dernières années. Il est donc préconisé de communiquer auprès des assureurs « pour a minima garantir que les freins à l’historique du photovoltaïque sur bâtiment (et notamment à l’intégration au bâti) soient levés » (T. Langreney, G. Le Cozannet, M. Merad, Rapport final remis au gouvernement le 2 avril 2024 : « Adapter le système assurantiel français face à l’évolution des risques climatiques », Décembre 2023, Annexe 3 : « L’assurance des panneaux photovoltaïques sur toitures », p. 102). Une assurance d’État pour couvrir les installations photovoltaïques ne devrait donc pas, du moins à date, voir le jour (S. d’Auzon, « Assurance du photovoltaïque en toiture : le rapport aux oubliettes », Le Moniteur, 23 avril 2024).
L’essor du recours aux panneaux photovoltaïque, couplé à ce constat de défiance des assureurs, qui, néanmoins aurait diminué d’après le rapport précité du fait notamment du changement de technique d’installation, nous conduit ainsi à nous pencher sur les conditions de la couverture des dommages causés à ce type d’installations par l’assurance obligatoire de responsabilité décennale.
Pour rappel, l’assurance de responsabilité décennale doit, aux termes de l’article L. 241-1 du Code des assurances, être obligatoirement souscrite par toute personne physique ou morale dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du Code civil, soit par tout constructeur ou réputé (art. 1792-1 C. civ.). La responsabilité décennale couvre, pour rappel, le paiement des travaux de réparation des désordres de nature décennale, c’est-à-dire ceux susceptibles d’engager la responsabilité décennale du constructeur.
L’assurance obligatoire de responsabilité décennale s’applique donc à ces désordres de nature décennale, mais sous réserve des exclusions spécifiques déterminées à l’article L. 243-1-1 du Code des assurances.
C’est donc au regard de ces deux « branches » du champ d’application de l’assurance obligatoire de responsabilité décennale que nous allons voir dans quelles conditions cette dernière s’applique aux installations photovoltaïques.
Les conditions de la couverture des désordres causés aux panneaux photovoltaïques dépendront ainsi de la nature décennale ou non de l’installation (I), mais aussi du champ des exceptions prévues par l’article L. 243-1-1 du Code des assurances qui exclut certains ouvrages (II).
I. L’application de l’assurance de responsabilité décennale obligatoire aux panneaux photovoltaïques sous le prisme de la nature décennale ou non des installations
L’installation de panneaux photovoltaïques peut se faire dans le cadre d’une nouvelle ou– et cela devrait d’ailleurs souvent être le cas en pratique –sur une toiture existante.
Le contentieux de l’application de la garantie décennale en matière d’installations photovoltaïques semble s’être noué en grande partie autour de la question de l’application de l’article 1792-7 du Code civil, qui exclut les éléments d’équipement dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage.
Aussi, pour ne pas se voir appliquer cette exclusion de la responsabilité décennale, celui qui engage la responsabilité du constructeur sur ce fondement doit pouvoir, si les panneaux produisent de l’énergie qui est commercialisée, démontrer que la revente n’est pas la seule fonction de l’installation, notamment qu’une partie de cette électricité produite est également utilisée à des fins d’autoconsommation notamment.
L’on peut relever un certain nombre d’arrêts récents qui ont écarté l’application de l’article 1792-7 à des installations photovoltaïques installées sur une toiture existante au motif qu’ils étaient intégrés à la toiture ou avaient pour fonction d’assurer le clos, le couvert et l’étanchéité du bâtiment.
Avant d’étudier ces arrêts, il convient de préciser que cet article 1792-7 du Code civil ne s’applique pas en marchés publics (CE 5 juin 2023, n° 461341).
En effet, dans une décision en date du 21 septembre 2022 (Cass. 3ème civ. 21 sept. 2022, n° 21-20.433), la Cour de cassation statuait sur un litige survenu à la suite d’un défaut sériel affectant les boîtes de connexion d’une installation de panneaux photovoltaïques en toiture d’un bâtiment existant dont la couverture avait été préalablement déposée. Les modules étaient fixés sur des bacs-aciers supportés par les pannes de la charpente et l’installation était raccordée au réseau ERDF en vue de la vente de la totalité de la production à EDF OA. La Cour censure l’arrêt d’appel qui avait écarté la responsabilité décennale sur le fondement de l’article 1792-7, au motif que les juges avaient relevé qu’avait été mise en place « une nouvelle couverture de l’immeuble composée de modules photovoltaïques » qui « supporte l’unité de production » et que les panneaux « participaient à la réalisation de l’ouvrage de couverture dans son ensemble, en assurant une fonction de clos, de couvert et d’étanchéité du bâtiment ».
La Haute Juridiction ne parle pas d’intégration, ni d’ouvrage, mais de « participation à la réalisation de l’ouvrage », expression qui a pu être qualifiée d’ambiguë (C. Charbonneau : RDI 2022, p. 667).
Cet arrêt a été d’ailleurs récemment visé par la Cour d’appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 2ème civ. 4 avril 2024, n° 20/04565), dans une décision en date du 4 avril 2024. En l’espèce, des panneaux photovoltaïques avaient été posés sur la toiture d’un immeuble et étaient reliés entre eux par des boîtiers de connexion. Quatre années plus tard, l’immeuble a été totalement détruit par un incendie qui , selon l’expert judiciaire,, ne pouvait s’expliquer que par des défaillances affectant les panneaux. La Cour d’appel indique que « Contrairement à ce qu’affirment certains assureurs, les panneaux photovoltaïques étaient physiquement intégrés à la toiture de l’immeuble. La facture […] décrit d’ailleurs sa prestation comme la ‘’pose du système en intégration de toiture’’. En assurant une fonction de clos, de couvert et d’étanchéité d’un bâtiment, ces panneaux participent de la réalisation de l’ouvrage de couverture dans son ensemble. N’étant pas exclusivement professionnels, ils sont couverts par la garantie décennale » (Cass. 3ème civ. 21 sept. 2022, n° 21-20.433)
Plus récemment, la Cour d’appel de Pau le 24 octobre 2023 ( CA Pau 24 oct. 2023, n° 21/03871) a écarté l’application de l’article 1792-7 du Code civil concernant l’installation photovoltaïque sur des hangars agricoles. Elle constate que « les hangars agricoles sont à structures et charpentes métalliques », que les panneaux « viennent en imposition sur les toits » par « le procédé d’intégration au bâti de type Agrisun, les panneaux étant directement livrés sur sites, fixés mécaniquement sur un bac en aluminium, leur assemblage faisant la couverture et l’étanchéité du toit » et indique que « compte tenu de ces éléments, il ne peut être considéré que les panneaux photovoltaïques sont exclusivement réservés à l’activité professionnelle alors qu’ils sont indissociables des hangars agricoles » et qu’ « ils participent de la réalisation de l’ouvrage de couverture dans son ensemble en assurant une fonction de clos, de couvert et d’étanchéité du bâtiment ».
Ces décisions nous apprennent donc que les panneaux photovoltaïques qui assurent, par leur procédé d’installation, la couverture et l’étanchéité du toit ne peuvent être considérés de ce fait comme ayant une vocation exclusivement professionnelle et ne tombent donc pas sous le « couperet » de l’article 1792-7 du Code civil. Les panneaux auraient ainsi, de ce fait, une sorte de « double fonction » (V. P. Dessuet, « Le développement durable en matière de construction : le cas du photovoltaïque », Revue générale du droit des assurances Déc. 2023, p. 6, qui s’interroge notamment sur le critère de « l’intégration » et parle d’une « double destination ». Mais, les juges n’indiquent pas expressément s’ils constituent des éléments d’équipement ou des ouvrages.
Il est également intéressant de citer un autre arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 juin 2023 (Cass. 3ème civ. 8 juin 2023, n° 21-15.960), dans une espèce concernant la défectuosité des boîtiers de connexion équipant les panneaux photovoltaïques. Ces panneaux étaient installés sur la toiture existante d’un abri de matériel agricole, et produisaient de l’électricité vendue à l’extérieur. La Cour a jugé que « les panneaux photovoltaïques avaient été intégrés à la toiture, elle en a exactement déduit, répondant en les écartant aux conclusions prétendument délaissées, qu’ils ne relevaient pas des éléments d’équipement visés à l’article 1792-7 du code civil, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage. »
Dans cet arrêt en revanche, la Cour jugerait de manière implicite que l’installation constituait la construction d’un ouvrage en elle-même et qu’il ne saurait donc justifier l’application de l’article 1792-7 du Code civil qui ne vise que les éléments d’équipements et non les ouvrages (V. P. Dessuet, préc.).
L’enjeu de qualification en élément d’équipement ou ouvrage est désormais déterminant lorsque les panneaux photovoltaïques ont été installés sur une toiture existante.
En effet, depuis 2017, la Cour admettait que les éléments d’équipements, dissociables ou non, d’origine ou installés sur l’existant, relevaient de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage impropre à sa destination.
Cependant, par un arrêt en date du 21 mars dernier (Cass. 3ème civ. 21 mars 2024, n° 22-18.694), la Cour a renversé cette jurisprudence libérale et opéré un retour à sa jurisprudence antérieure à 2017. Désormais, les éléments d’équipements adjoints à un existant, dissociables et qu’ils fonctionnent ou non, n’engagent pas la garantie décennale, sauf à ce qu’ils constituent en eux-mêmes un ouvrage, c’est-à-dire si l’installation peut être analysée comme la construction d’un ouvrage et non que des travaux d’adjonction. A défaut de constituer en eux-mêmes un ouvrage, seule la responsabilité contractuelle du constructeur pourra être engagée.
Aussi, les désordres affectant les panneaux photovoltaïques constituant des éléments d’équipement installés sur une toiture existante ne pourront plus engager la responsabilité décennale du constructeur et être couverts par l’assurance de responsabilité obligatoire sauf à ce que les travaux de pose des panneaux photovoltaïques soient assimilables à des travaux de construction d’un ouvrage. Ceux qui seront qualifiés d’éléments d’équipement pourront être réparés mais sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur. (Ph. Brun, S. Bertolaso, « Eléments d’équipement de l’ouvrage : retour vers le futur ! », Responsabilité civile et Assurance Avr. 2024, étude 3, § 14).
Or, la jurisprudence semble globalement fluctuante car très casuistique en termes de qualification des panneaux photovoltaïques.
Il semblerait néanmoins que les juges du fond retiennent la qualification d’ouvrage « lorsque les panneaux forment la couverture du pan de toiture auxquels ils sont intégrés » (E. Menard, « Un an de responsabilité et d’assurance des acteurs de la construction (1er juill. 2022 – 31 juill. 2023) », Responsabilité civile et assurances Fév. 2024, chron. 1) .
L’on peut citer à cet égard la Cour d’appel de Riom qui a retenu dans une décision du 27 mars 2024 (CA Riom, ch. com. 27 mars 2024, n° 23/00010) la responsabilité décennale du constructeur concernant des modules de panneaux solaires installés sur un bâtiment, considérant qu’ils remplissaient la double fonction de production d’électricité et de couverture du bâti et « participant au clos, au couvert et à la protection contre les intempéries, ils constituent ensemble un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil ».
La qualification d’ouvrage a également été retenue par la Cour d’appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 3 oct. 2023, n° 22/05113), statuant sur renvoi de l’arrêt du 21 septembre 2022 précité. Elle indique que « le système de montage fournit l’étanchéité de la toiture, que l’installateur doit s’assurer du bon dimensionnement du bâtiment pour supporter le poids du système, adapter si nécessaire la pose aux impératifs constructifs de l’ouvrage existant, utiliser des bacs acier adaptés à la zone de vent, avec des pentes minimales à respecter, en utilisant si nécessaire des compléments d’étanchéité transversale. ». Les juges du fond en ont ainsi déduit que « l’installation photovoltaïque ainsi intégrée à la toiture constitue dans son ensemble un ouvrage de construction ayant pour fonction la production d’électricité mais également le clos et le couvert de l’immeuble, relevant ainsi de l’obligation d’assurance ».
La Cour de cassation a d’ailleurs retenu par le passé, s’agissant d’installations autres que des panneaux photovoltaïques en toiture, que l’installation d’un élément d’équipement constituait une construction d’un ouvrage dès lors qu’il y avait « des travaux véritables » (V. P. Dessuet, préc.), par exemple à propos de « la construction, sur plusieurs kilomètres, d’une conduite métallique fermée d’adduction d’eau à une centrale électrique » (Cass. 3ème civ. 19 janv. 2017, n° 15-25.283) ou encore une installation de climatisation comprenant une centrale d’énergie du fait de « sa conception, son ampleur et l’emprunt de ses éléments à la construction immobilière » (Cass. 3ème civ. 28 janv. 2009, n° 07-20.891).
Aussi, un auteur indique ainsi que « Fort de cette jurisprudence, on ne saurait à cet égard approuver la position adoptée par nombre d’assureurs consistant à contester aux travaux d’installation de panneaux photovoltaïques en surimposition d’une toiture existante la qualité de travaux éligibles aux garanties légales de responsabilité, au moins que les travaux d’installation de la centrale sur un existant ne remplissent aucune fonction d’étanchéité » et qu’est notamment pris en compte également « ‘’l’ajout de matière’’, ‘’l’importance technique’’, ‘’l’importance financière’’ ou encore ‘’la fixité au sol’’». Il souligne la difficulté en la matière liée au fait que « la qualification d’ouvrage en matière de travaux sur existants fait appel à une multiplicité de critères appliqués de manière erratique, sans que nous puissions malheureusement en tirer une règle logique » (V. P. Dessuet, préc.).
En conclusion, il serait opportun que la Cour de cassation rende une décision de principe permettant de donner des « clefs » précises de « répartition » entre la qualification d’ouvrage et celle d’élément d’équipement s’agissant précisément de panneaux photovoltaïques installés en toiture (V. E. Menard, préc.). Les travaux sont-ils assimilés à des travaux de construction d’un ouvrage dès qu’ils sont intégrés à la toiture et forment le clos et le couvert ? Quels critères pourraient permettre de qualifier d’ouvrage les panneaux photovoltaïques lorsqu’ils sont en surimposition ?
Des éclaircissements sur ce point nous semblent primordiaux pour apprécier les assurances à souscrire en cas de pose de panneaux photovoltaïques.
II. Le champ des ouvrages exclus de l’assurance responsabilité décennale par l’article L. 243-1-1 du Code des assurances
L’article L. 243-1-1 du Code des assurances exclut du champ de l’assurance obligatoire de responsabilité décennale plusieurs types d’ouvrages.
Il exclut dans son I. les ouvrages de « de stockage et de distribution d’énergie », « sauf si l’ouvrage ou l’élément d’équipement est accessoire à un ouvrage soumis à ces obligations d’assurance. »
De plus, l’article exclut au II. de l’obligation d’assurance les ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, « à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ».
Ces deux exclusions du champ de l’assurance obligatoire de responsabilité décennale sont susceptibles de concerner des installations photovoltaïques.
Exclusion liée à la fonction de distribution d’énergie – Les panneaux photovoltaïques, lorsqu’ils sont utilisés à des fins purement professionnelles en vue de la distribution de l’énergie produite, sont susceptibles d’entrer dans le champ de l’article L. 243-1-1 du Code des assurances qui vise les ouvrages « de stockage et de distribution d’électricité », sauf s’ils constituent l’accessoire d’un ouvrage soumis à l’assurance obligation de responsabilité décennale.
Le Bureau Central de Tarification a d’ailleurs indiqué dans ses rapports de 2021 et 2022 que « lorsque les panneaux photovoltaïques sont posés sans fonction de couverture et sont destinés à la production d’électricité en vue de la vente, ils ne sont pas soumis à l’obligation d’assurance » BCT, Rapport annuel 2021).
Selon un auteur, constitue un accessoire au sens de l’article L.243-1-1 du Code des assurances, « un ouvrage réalisé sur un bâtiment existant quand l’électricité produite sert en tout ou partie à alimenter un ouvrage de type habitation – bureau » (V. P. Dessuet, préc.).
Dans l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 3 octobre 2023, n° 22/05113) qui statuait sur renvoi de la décision en date du 21 septembre 2022,le litige portait sur la nature des désordres constitués par le dysfonctionnement de deux des panneaux photovoltaïques installés sur la toiture d’un bâtiment industriel et qui formaient une installation raccordée au réseau ERDF en vue de la vente de la totalité de la production à EDF OA.
L’assureur se fondait sur les dispositions de l’article L. 243-1-1 du Code des assurances et soutenait que les panneaux photovoltaïques objet des désordres constituaient des ouvrages visant à la production d’électricité, qui sont exclus par nature de l’obligation d’assurance, puisqu’ils ne sauraient être considérés comme accessoires de « l’ouvrage bâtimentaire ». La Cour d’appel de renvoi écarte néanmoins cet argumentaire, jugeant que cet article ne pouvait être invoqué par l’assureur dès lors que les panneaux photovoltaïques avaient été intégrés en toiture. Elle relève, pour ce faire, que les modules étaient « fixés par des brides vissées sur des platines », elles-mêmes assujetties à des profilés en acier « installés parallèlement au rampant » qui étaient fixées « sur les pannes au travers des bacs à l’ombons des ondes ». Comme indiqué supra, elle précise que l’installation est intégrée dans la toiture et a pour fonction la fourniture d’électricité mais également le clos et le couvert de l’immeuble et qu’elle relève ainsi de l’obligation d’assurance.
La Cour d’appel fait ainsi entrer dans le champ de l’assurance obligatoire les panneaux photovoltaïques dont la production d’énergie était totalement vendue à EDF, se fondant sur leur intégration dans la toiture sur laquelle ils étaient installés et considérant qu’ils assuraient ainsi également le « clos et le couvert » de l’immeuble. Soulignons que l’on retrouve ici le vocabulaire utilisé par la jurisprudence pour écarter l’article 1792-7 du Code civil en matière de responsabilité décennale.
Ce serait semble-t-il cette « double-fonction » des panneaux photovoltaïques, d’une part de production et de distribution d’énergie et, d’autre part, de clos et de couvert du bâtiment du fait de leur intégration dans la toiture, qui leur permettrait d’entrer dans le champ de l’obligation d’assurance responsabilité décennale. Cette fonction de clos et de couvert en ferait l’accessoire de l’ouvrage.
Il serait opportun d’avoir sur ce sujet un arrêt rendu par la Cour de cassation, la situation devenant « très délicate pour les praticiens » (V. P. Dessuet, préc.).
Outre les ouvrages de distribution d’énergie, l’article L. 243-1-1 du Code des assurances exclut du champ de l’assurance responsabilité décennale obligatoire les dommages causés aux existants.
Désordre causé à un existant – Les désordres affectant les panneaux photovoltaïques peuvent causer un dommage aux panneaux en eux-mêmes, mais également à la toiture existante qui les supporte. Il s’agit dans ce cas de ce qu’on appelle un dommage aux existants. Les ouvrages existants à l’ouverture du chantier sont en principe exclus de l’assurance obligatoire par l’article L. 243-1-1 du Code des assurances, qui réserve néanmoins une exception : les ouvrages « qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ».
La Cour de cassation a cependant décidé dans un arrêt du 26 octobre 2017 (Cass. 3ème civ. 26 oct. 2017, n° 16-18.120) que cette exception des désordres causés aux existants n’était pas applicable lorsque les désordres affectant l’élément d’équipement installé sur existant rendaient l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination.
Cette jurisprudence favorable aux assurés a toutefois été remise en cause par l’arrêt en date du 21 mars 2024 (Cass. 3ème civ. 21 mars 2024, n° 22-18.694). Les adjonctions ou remplacements de panneaux photovoltaïques qui constituent des éléments d’équipements sur un existant ne relèveront désormais plus de la garantie décennale ni de l’assurance obligatoire en responsabilité décennale.
La Haute Juridiction a par ailleurs précisé les conditions de la réintégration à l’assurance obligatoire des existants « qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles », dans une décision en date du 30 mai 2024 (Cass. 3ème civ. 30 mai 2024, n° 22-20.711). Elle rappelle dans cet arrêt que l’application de l’assurance obligatoire suppose la réunion de deux conditions cumulatives : une indivisibilité de l’ouvrage neuf et de l’ouvrage existant, laquelle résulte d’une incorporation de l’ouvrage existant dans l’ouvrage neuf et non l’inverse.
Or, il semblerait de prime abord que c’est plutôt l’installation photovoltaïque qui s’incorpore dans la toiture et non l’inverse, ce qui, à la lumière du dernier rappel de la Cour de cassation, devrait conduire à écarter le jeu de l’assurance de responsabilité décennale en cas de dommage causé à la toiture existante
Néanmoins, le Tribunal Judiciaire de Bordeaux (TJ Bordeaux, 7ème ch. civ. 6 mars 2024, n° 22/03503 a jugé, s’agissant de panneaux photovoltaïques qui, selon les termes de l’expert judiciaire, faisaient corps avec le toit du bâtiment, et alors que l’assureur contestait justement sa garantie des désordres sur l’existant au motif qu’elle s’appliquait « uniquement aux existants lorsqu’ils sont totalement incorporés dans l’ouvrage neuf », qu’en l’espèce, « les panneaux photovoltaïques sont bien intégrés à la charpente en ce qu’ils ont été fixés sur la charpente par des vis de fixation et que les câbles circulent par cette charpente, outre que les onduleurs sont plaqués à même le bois » et qu’ « en conséquence,, la charpente a bien été incorporée à l’ouvrage qui fait indissociablement corps avec elle et la réparation des désordres inclus le coût de la réparation de la charpente ».
Par ailleurs, la Cour d’appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 2ème ch. civ. 4 avril 2024, n° 20/04565) a décidé, s’agissant de « panneaux photovoltaïques qui étaient physiquement intégrés à la toiture de l’immeuble », et « assurant une fonction de clos, de couvert et d’étanchéité du bâtiment », que, « en application des dispositions de l’article L. 243-1-1 II du Code des assurances selon lesquelles l’assurance obligatoire couvre les dommages aux ouvrages existants ‘’qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles’’, la garantie de l’assureur couvrira non seulement les travaux de reprise de l’installation photovoltaïque mais également ceux inhérents à la reconstruction de l’immeuble suite à sa destruction par incendie ».
En conclusion, l’étude de la couverture des désordres liés à des installations de panneaux photovoltaïques au titre de l’assurance obligatoire de responsabilité décennale met en exergue quelques éléments du champ d’application de cette couverture qui mériteraient d’être précisés. Il s’agit principalement des critères de qualification des panneaux en ouvrages ou éléments d’équipements. Cette question a pris une dimension d’autant plus importante en présence de panneaux installés sur une toiture existant à la suite du « rétrécissement » du champ de la garantie décennale et de son assurance par la décision de revirement du 21 mars 2024.
Par ailleurs, il conviendrait à notre sens de préciser et d’éclaircir dans quels cas les panneaux photovoltaïques constituent des « accessoires à un ouvrage soumis à ces obligations d’assurance », c’est-à-dire au bâtiment sur le toit duquel ils se trouvent en cas d’installation en toiture, pour l’application de l’article L. 243-1-1 du Code des assurances.
Enfin, il nous semblerait pertinent de préciser, pour le cas de dommages sur un existant causé par l’installation des modules photovoltaïques, ce que la Haute Juridiction entend par « incorporation » de l’ouvrage ancien dans l’ouvrage neuf.
Jean-Jacques Sainz (Notaire associé) et Céline Roger (Lab Cheuvreux)