Le pétitionnaire d’une autorisation d’urbanisme modificative peut se prévaloir tant d’une nouvelle règle que d’une nouvelle circonstance de fait pour échapper à la règle antérieure affectant la validité de son projet.
En 2003, par une convention publique d’aménagement, une communauté de communes a concédé à une société privée la création d’un parc d’activités économiques. Dans ce cadre, la commune a délivré en 2011 un permis d’aménager un premier secteur du projet, consistant en l’aménagement de parcelles localisées sur une friche industrielle sur le territoire d’une commune littorale (qui nécessitait en conséquence la mise en conformité du SCOT et du PLU). En 2018, un permis d’aménager modificatif a été accordé à la suite de la réduction du périmètre du projet.
Une association de défense de l’environnement a saisi le Tribunal administratif de Lille d’une demande d’annulation du permis d’aménager délivré en 2011, du permis d’aménager modificatif délivré en 2018, ainsi que du refus du préfet de déférer au Tribunal administratif l’arrêté de permis d’aménager initial.
Par un jugement du 12 juillet 2019, le Tribunal administratif de Lille a annulé les arrêtés de permis d’aménager et de permis d’aménager modificatif sur le fondement d’une disposition de l’ancien article L. 146-4 du Code de l’urbanisme, reprise par l’article L. 121-8 du même code, qui impose une urbanisation en continuité des zones déjà urbanisées sur les communes littorales. La Cour administrative de Douai ayant confirmé le jugement, la société bénéficiaire des autorisations d’urbanisme et la Commune d’Etaples-sur-Mer se pourvoient donc en cassation.
Le Conseil d’État rappelle qu’une autorisation d’urbanisme viciée peut être régularisée par la délivrance d’une autorisation modificative assurant le respect des règles applicables au projet en cause et qu’en application des règles qui gouvernent le régime contentieux de l’excès de pouvoir, la légalité d’une autorisation d’urbanisme doit être appréciée à la date de son édiction. Le juge administratif en déduit que lorsqu’il est saisi d’un recours contre une autorisation d’urbanisme initiale ayant fait l’objet d’une autorisation modificative, le juge doit apprécier le respect des règles au regard de l’environnement du projet à la date de la délivrance de l’autorisation modificative. Partant, si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par l’autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’un changement dans les circonstances de fait de l’espèce, il n’y a plus lieu d’invoquer les irrégularités ainsi régularisées à l’appui d’un recours contre le permis initial.
Dès lors, s’il était déjà acquis qu’une autorisation d’urbanisme modificative pouvait purger l’illégalité initiale du projet en tirant bénéfice d’une évolution postérieure et favorable de la règle invoquée à l’appui d’un recours dirigé contre l’autorisation initiale, cette décision précise qu’il en va de même en cas de changement dans les circonstances de fait de l’espèce venant conforter la légalité du projet.
En l’espèce, le projet était situé à proximité d’une zone d’aménagement concerté (ZAC), elle-même située en continuité d’une zone déjà urbanisée caractérisée par un nombre et une densité significatifs de constructions. Les juges du Palais Royal reprochent aux juges du fond d’avoir considéré que la méconnaissance des dispositions précitées ne devait s’apprécier qu’au regard des circonstances prévalant à la date du permis initial. La situation matérielle ayant évolué, le Conseil d’État considère qu’ils auraient dû rechercher si, à la date du permis modificatif – compte tenu d’un changement dans les circonstances de fait de l’espèce – les règles de constructibilité en continuité de l’urbanisation existante restaient méconnues.
L’affaire est renvoyée à la Cour administrative d’appel de Douai qui, en qualité de juge du fond, tranchera l’affaire sur le point de savoir si, à la date du permis de construire modificatif, la densité était suffisante pour considérer que le projet s’insère dans une zone déjà urbanisée ou en continuité avec une telle zone.
Cette décision s’inscrit dans le mouvement jurisprudentiel global visant à sécuriser et à stabiliser les autorisations d’urbanisme, lequel s’illustre par une limitation des recours et par la volonté d’éviter, autant que possible, l’annulation totale des actes.
CE 10 octobre 2022, n° 451530, Société Territoires Soixante-Deux