Par une décision du 11 avril 2022 (n°21MA00539), la Cour administrative d’appel de Marseille est venue poser une nouvelle pierre à l’édifice de la théorie des contrats mixtes.
Dans cette affaire, le conseil municipal de la commune de Grasse avait autorisé en mars 2018 le maire à signer tous les actes et documents nécessaires à la cession à un promoteur d’un tènement foncier constitué de plusieurs parcelles sises sur le territoire communal, moyennant un prix de 2 550 000 euros, avec, en sus, dation en paiement pour une valeur totale de 450 000 euros d’un espace clos couvert d’environ 350 m² situé au rez-de-chaussée d’un des immeubles à construire ainsi que cinq places de stationnement.
Plusieurs requérants ont demandé au tribunal administratif de Nice d’annuler cette délibération au motif que le contrat avait en réalité la nature d’un marché public qui devait être soumis à une procédure de publicité et de mise en concurrence conforme à l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics alors en vigueur.
Par un jugement n°1803808 et 1803823 du 8 décembre 2020, le tribunal administratif de Nice a rejeté ces demandes. Le litige a ensuite été porté devant la CAA de Marseille qui a confirmé la solution de première instance considérant que le contrat autorisé par la délibération attaquée n’avait pas la nature d’un marché public puisque les travaux relatifs au local ne constituent pas l’objet principal du contrat entre la commune et la Sarl Astrid Promotion, lequel porte sur l’aliénation d’un immeuble, dont ils ne sont que l’accessoire.
Cette décision présente l’intérêt d’être une des premières applications de la théorie de l’accessoire telle que prévue par les textes nationaux de la commande publique à la suite de la transposition de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics (1). On peut néanmoins regretter l’importance donnée par le juge aux caractéristiques des travaux remis à la ville en l’espèce (« coque brute ») qui aurait pu rester indifférentes à son analyse (2).
Le recours à la notion d’accessoire au titre de la théorie des contrats mixtes
On se place ici dans l’hypothèse d’un contrat à double objet agrégeant, d’une part, la cession de droits sur un bien immobilier propriété d’un pouvoir adjudicateur au sens du Code de la commande publique (ou « acheteur ») et, d’autre part, la réalisation de travaux sur lesquels ce même pouvoir adjudicateur exerce une influence déterminante, travaux qui, pris isolément, relèveraient donc assurément du champ des marchés publics.
Les directives européennes, d’abord transposées en droit national par l’ordonnance de 2015 visée dans la décision de la CAA de Marseille et désormais codifiées dans le Code de la commande publique (ci-après CCP ») entré en vigueur le 1er avril 2019, confirment clairement que lorsqu’un acheteur conclut un contrat unique destiné à satisfaire des besoins objectivement indissociables qui, d’une part, relèvent du régime de la commande publique et, d’autre part, n’en relèvent pas, ce contrat est soumis aux dispositions applicables à son objet principal.
Dans cette hypothèse, si c’est la vente du terrain, contrat de droit privé exclu du champ de la commande publique, qui constitue l’objet principal de l’opération, alors les travaux répondant à un besoin en équipement public en tant qu’accessoire à cette vente seront eux-mêmes exclus du champ de la commande publique.
Il convient de souligner à ce titre que nous nous situons alors dans un cas de figure différent de celui visé à l’ancien article 30 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics (désormais codifié à l’article R. 2122-3 du CCP) car le contrat de travaux accessoire est intégralement hors champ de la commande publique (en terme de passation et d’exécution administrative et financière) alors que le marché négocié sans publicité ni mise en concurrence permettant de confier à un opérateur déterminé la réalisation de travaux répondant aux besoins de l’acheteur lors de l’acquisition ou de la location d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire est quant à lui un marché public mais il est attribué dans le cadre d’une procédure dérogatoire (en gré à gré).
Pour parvenir à la solution de l’accessoire, il faut en pratique vérifier la satisfaction des deux conditions cumulatives posées par les textes : le caractère inséparable des deux objets, d’une part, et le caractère accessoire des travaux par rapport à la vente du terrain, d’autre part.
En l’espèce, la Cour se fonde bien sur la notion de contrat mixte pour justifier l’absence d’application du droit de la commande publique au local d’activité destiné à la commune mais, comme souvent dans les affaires qui ont mis en œuvre cette solution (CAA Douai 25 oct. 2012, Société Immobilière Carrefour, n° 11DA01951 ; CAA Nantes 19 sept. 2014, Communauté de communes de Vire, n° 12NT02593, § 10 ; CAA Marseille 17 mai 2021, Sté Promex, n° 19MA03527, § 8), le juge ne développe pas son raisonnement sur l’indivisibilité des deux objets du contrats, il ne s’attarde que sur l’indivisibilité de l’instrumentum qui lui est soumis en relevant que « (…) la promesse de vente en cause contient une clause, qui doit être regardée comme indivisible, par laquelle la commune de Grasse commande un bâtiment pour un prix de 450 000 euros ».
On sait cependant qu’il faut avoir en la matière une démarche casuistique, factuelle, consistant à vérifier que les parties ont été objectivement amenées à lier les deux objets du contrat. Autrement dit, il faut démontrer que l’on est en présence de deux objets qui ne peuvent être exécutés séparément. A ce titre, les raisons techniques sont admises, notamment celles relatives à l’imbrication nécessaire des travaux réalisés pour le pouvoir adjudicateur avec ceux devant être réalisés par l’acquéreur du terrain.
Naturellement il faudra toujours être en mesure de démontrer que l’on n’a pas choisi une solution consistant à imbriquer plusieurs éléments dans un même bâtiment pour échapper aux règles de la commande publique puisque le choix fait par un acheteur public de conclure un contrat mixte destiné à satisfaire des besoins ne relevant qu’en partie du Code de la commande publique ne peut avoir pour but de le soustraire aux règles définies par ce code (art. L. 1300-1 du CCP).
On notera enfin que le droit de l’Union européenne admet que l’inséparabilité des deux objets du contrat puisse également résulter de raisons économiques (considérant 11 de la directive 2014/24 précitée), étant entendu que, pour le juge, l’intérêt financier pour la personne publique de regrouper plusieurs volets dans un même contrat ne suffit pas à lui seul à démontrer cette indissociabilité (en ce sens voir CJUE 22 décembre 2010, Mehiläinen Oy, Terveystalo. Healthcare Oy, aff. C-215/09).
S’agissant du caractère accessoire, la DAJ de Bercy (Conseil aux acheteurs, Fiche technique « Contrats de la commande publique et autres contrats », mise à jour le 01/04/2019, page 10.) indique que la « détermination de l’objet principal du contrat s’opère dans son ensemble selon une analyse multicritères tant quantitative que finaliste, et non sur le seul montant respectif des prestations composant son objet ».
En pratique, sans que l’un d’eux ne soit à lui seul déterminant, les critères à prendre en compte sont :
– Le contexte et la motivation principale de l’opération,
– La part des volumes en cause au sein du projet de développement immobilier,
– La valeur des différents objets du contrat ou de l’ensemble contractuel.
Dans l’affaire commentée comme dans la plupart des arrêts rendus en la matière, c’est sur la valeur des prestations que le juge fonde sa décision, considérant qu’une vente de terrain pour un montant de 3 millions d’euros, qui comporte une clause indivisible par laquelle la commune de Grasse commande un bâtiment pour un prix de 450 000 euros, constitue un contrat à objet mixte dont les travaux pour la commune ne constituent pas l’objet principal.
L’absence de spécifications techniques précises comme autre condition de recours à la théorie de l’accessoire ?
Dans cet arrêt, le juge fait état de l’absence de spécifications précises de la part de la personne publique portant sur l’équipement qui lui sera remis, et on pourrait en première analyse penser qu’il s’agit d’une condition supplémentaire pour pouvoir recourir valablement à la théorie de l’accessoire.
En effet, la cour relève que le local récupéré par la Ville de Grasse est un « local d’activité en configuration clos couvert (vitrines posées, fluide en attente, branchement concessionnaires en attente, aucun aménagement intérieur) » et qu’aucune spécification précise n’a été imposée par la Commune bien qu’elle en tire un intérêt économique direct.
C’est assez déconcertant, car si la légalité de l’opération suppose de mobiliser la théorie des contrats mixtes, c’est justement parce que le volet accessoire correspond à un besoin spécifique de la personne publique qui entrerait dans le champ de la commande publique s’il était pris isolément.
Néanmoins, une explication pourrait être recherchée du côté du contexte global de l’opération qui, dès lors qu’elle est à l’initiative de la personne publique propriétaire du terrain vendu au promoteur, pourrait faire planer un doute sérieux sur le fait que la remise d’un équipement public par l’acquéreur au vendeur puisse être considérée comme une simple opportunité de marché.
On peut donc penser que le juge n’avait pas de meilleure solution que de se fonder sur la théorie des contrats mixtes mais qu’il a souhaité rester fidèle à la réalité des faits, en précisant qu’il n’y avait pas en l’espèce de spécification répondant à un besoin propre du pouvoir adjudicateur, sans qu’il faille y voir une condition supplémentaire pour que la remise de l’équipement sorte du champ de la commande publique. Une lecture différente de cette décision n’aurait sinon que peu de sens du point de vue de la théorie des contrats mixtes.