Par une décision très attendue, le Conseil Constitutionnel a, le 11 juin 2021, déclaré les modalités d’évaluation judiciaire de l’indemnité d’expropriation prévues par les dispositions de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation conformes à la Constitution, refusant ainsi de reconnaître qu’une expropriation puisse être poursuivie « pour revendre ».
Pour mémoire, à défaut d’accord amiable sur le montant de l’indemnité d’expropriation, l’autorité publique expropriante et le propriétaire exproprié ont la faculté de saisir le juge de l’expropriation conformément aux articles L. 311-5 et L. 311-6 du Code de l’expropriation.
Ce dernier statuera alors dans les conditions prévues par les articles L. 322-1 et suivants du même code lesquels prévoient, notamment, que la valeur des biens expropriés s’apprécie à la date de la décision de première instance (Art. L. 322-2 al. 1) . Le deuxième alinéa de cet article impose néanmoins au juge de prendre en considération, dans des cas limitativement énumérés, l’usage effectif du bien exproprié à une date de référence antérieure à celle de la décision de première instance, sans toutefois qu’autorisation lui soit donnée de tenir compte d’éventuels changements de valeur susceptibles d’affecter le bien depuis la date de référence (Art. L. 322-2 dernier al.).
La question était donc de savoir si la date de référence retenue pour arrêter le montant de l’indemnité d’expropriation était ou non conforme à l’article 17 de la DDHC aux termes duquel « [l]a propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».
Les requérants faisaient valoir, en effet, que les dispositions des alinéas 2 et 4 de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation imposent d’apprécier la nature et l’usage effectif de l’immeuble, d’une part, à une date de référence très antérieure à la date d’expropriation et, d’autre part, sans tenir compte des changements de valeur depuis cette date.
Aussi, ces derniers invitaient-ils le Conseil constitutionnel à apprécier le montant de l’évaluation selon le maintien ou non du bien exproprié dans le patrimoine de l’autorité publique expropriante et, par suite, son usage futur et non son usage effectif. Autrement dit, la perspective d’une revente certaine du bien exproprié et, bien sûr, la perception d’un bénéfice par l’autorité expropriante devait-elle justifier du versement d’une indemnité complémentaire à l’exproprié lésé.
Mais alors, faudrait-il distinguer l’expropriation pour cause d’utilité publique de « l’expropriation pour revendre » ?
Une telle reconnaissance eut été dangereuse car le seul motif qui préside à l’expropriation est « qu’elle réponde à une utilité publique ».
Les lois du marché immobilier, tributaire de l’annonce de réhabilitation de quartiers, doivent demeurer étrangères à l’évaluation de l’indemnité d’expropriation à peine de remettre en cause l’équilibre souhaité par le législateur entre une juste et préalable indemnité des propriétaires expropriés et la bonne gestion des deniers publics.
Comment concevoir que la hausse de la valeur vénale des terrains d’assiette des biens expropriés ne résulte que de la simple annonce de la réalisation d’une opération d’aménagement ou de travaux, en outre, d’initiative publique ? Comment tenir compte des coûts prévisionnels d’aménagement dans l’évaluation du montant de l’indemnité ? Comment pallier une éventuelle rupture d’égalité entre les expropriés dont le bien serait finalement utilisé comme terrain d’assiette d’un équipement public et non d’un centre commercial ? La signature d’une promesse de vente suffit-elle à arrêter les conditions financières nécessaires à l’évaluation de l’indemnité ?
Si certains auteurs ont pu s’émouvoir de la captation exclusive d’une marge par l’autorité publique expropriante (René Hostiou « Expropriation pour revendre » : le Conseil constitutionnel valide les dispositions de l’article L. 322, alinéa 4 : RDI n° 9 – Septembre 2021, p. 468) , il convient de rappeler que la marge éventuellement perçue (puisqu’inconnue lors de l’établissement du bilan prévisionnel de la ZAC) compense, éventuellement, le coût global d’équipement d’une ZAC et surtout le risque pris par l’opérateur en charge de son aménagement (le coût des études et de commercialisation des terrains ou encore la réalisation de travaux).
En outre, le bilan de l’opération est établi à partir d’une évaluation du terrain aménagé à la date de son établissement. Le boni de l’opération d’aménagement n’est, quant à lui, réellement connu qu’à la clôture de l’opération, soit à l’expiration de la concession d’aménagement (si la ZAC est confiée à un aménageur). Aussi, « déterminer une éventuelle plus-value à la parcelle [en amont de l’opération] relèverait dès lors d’une fiction » (Xavier Couton, Expropriation dans les ZAC : pour cause d’utilité publique et non « pour revendre », Construction-Urbanisme n° 9 – Septembre 2021, comm.104).
Le Conseil Constitutionnel conforte donc l’équilibre entre la juste indemnisation de l’exproprié et la prise en compte des risques pris par l’aménageur pour mener à bien l’opération, garant de la bonne gestion des deniers publics. L’utilité publique, en somme.
Conseil constitutionnel 11 juin 2021, déc. n° 2021-915/916 QPC