Par décision du 13 juin 2022, le Conseil d’État reconnait pour la première fois la responsabilité sans faute d’une commune en raison du préjudice excessif causé au propriétaire d’un bien à la suite de la renonciation à sa décision de préempter.
Dans cette affaire, début 2012, la société Immotour, exerçant une activité de marchand de biens et propriétaire d’un ancien hôtel, signe une promesse de vente pour un prix stipulé de 1 095 000 euros. À la suite de la déclaration d’intention d’aliéner qui lui est adressée par la société, la commune, par une décision du 28 août 2012, décide d’exercer son droit de préemption urbain pour un montant de 800 000 euros. Toutefois, après fixation judiciaire du prix, la commune renonce à la préemption par une décision du 17 juillet 2013. Entre-temps, l’ancien hôtel est occupé illégalement, dégradé et pillé, de sorte que finalement, en 2014, le propriétaire se trouve contraint de céder son bien au prix de 400 000 euros, soit à un prix nettement inférieur à la valeur fixée par le juge de l’expropriation deux années auparavant. Estimant que cet écart de valeur est imputable aux décisions de la commune, la société engage sa responsabilité devant le tribunal administratif de Strasbourg qui fait droit à sa demande et lui accorde réparation du préjudice résultant de l’illégalité de la décision de préemption. Ledit jugement est révoqué en appel, la décision de préemption étant jugée légale.
Invité à son tour à se prononcer sur la responsabilité sans faute de la commune pour avoir exercé son droit de préemption avant d’y renoncer, le Conseil d’État admet la responsabilité de la commune bien que celle-ci n’ait commis aucune faute dès lors que les conditions d’une telle responsabilité étaient réunies.
En effet, pour la haute juridiction, il existe bien un lien de causalité entre les décisions de l’autorité administrative, pourtant légales, et le préjudice subi par le vendeur. Si le Conseil considère que les décisions de l’autorité administrative ont causé un préjudice au propriétaire du bien immobilier, notons toutefois qu’il tient compte de la gravité du préjudice subi ainsi que de son caractère spécial pour retenir la responsabilité sans faute de l’administration. En ce sens, il relève que si la renonciation de l’autorité préemptrice est toujours possible, celle-ci ne doit pas causer au vendeur « un préjudice excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter des vendeurs de terrains situés en zone urbaine ». Partant, le juge considère qu’il existe une sujétion normale inhérente à l’existence d’un droit de préemption urbain, laquelle n’ouvre pas droit à réparation.
En l’espèce, s’agissant de l’évaluation du préjudice, le Conseil d’État exonère la commune d’une partie de l’indemnité retenue en première instance en tenant compte de l’imprudence du vendeur qui n’a pas mis en place de dispositif de gardiennage de son immeuble ainsi que d’un dégât des eaux qui lui était imputable.
CE 13 juin 2022, Société Immotour, n° 437160