A l’occasion d’une décision de référé rendue le 19 avril dernier, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur les modalités d’exercice du droit de préemption urbain dans le cadre de la mise en œuvre de l’option d’achat incluse au sein d’un contrat de bail à construction dit « inversé ».
Dans la présente affaire, deux sociétés étaient chacune titulaire d’un bail à construction conclu en 1988 pour la réalisation d’un port de plaisance à sec comprenant une petite zone d’activité. Les deux contrats étant assortis d’une promesse de vente au profit des sociétés preneuses, celles-ci ont manifesté leur intention d’acquérir les terrains. Les déclarations d’intention d’aliéner (DIA) adressées à la commune mentionnaient, pour chacune des parcelles, le prix de vente du foncier et le prix de vente des constructions. Était également précisé que le montant de la vente valait uniquement pour l’assiette foncière grevée du bail à construction dès lors que les sociétés acquéreuses étaient déjà propriétaires des ouvrages du port édifiés par elles, et que si la commune décidait d’exercer son droit de préemption, la vente porterait à la fois sur le foncier et sur les constructions.
Toutefois, la commune a décidé de préempter les parcelles au seul prix du foncier en vue de réaliser une opération d’aménagement d’un pôle d’excellence du nautisme. Les propriétaires et les deux sociétés ont alors saisi le juge des référés en vue de la suspension de l’exécution de la décision de préemption. Par deux ordonnances de référés, le juge a fait droit à leurs requêtes au motif qu’en préemptant au seul prix du foncier la commune avait dénaturé les termes des DIA.
A l’occasion du pourvoi en cassation introduit par la commune, le Conseil d’État donne une interprétation restrictive des dispositions prévues à l’article L. 213-1 du Code de l’urbanisme en considérant que le fait qu’une parcelle soit grevée d’un bail à construction « inversé » ne fait pas obstacle à l’exercice du droit de préemption dans la mesure où ce type de bail ne figure pas au nombre des exemptions au droit de préemption limitativement prévues par l’article précité.
Toutefois, la Haute juridiction considère – au terme d’un argumentaire peu convaincant – que la préemption exercée à l’occasion de la levée, par le preneur, de l’option stipulée au contrat d’un bail à construction a pour effet de transmettre à l’autorité qui préempte la qualité de bailleur et, ce faisant, les obligations attachées à cette qualité. Sa nouvelle qualité de bailleur oblige alors la commune à exécuter la promesse de vente prévue au contrat de bail à construction toujours valable, de sorte que l’opération d’aménagement ayant motivé la décision de préemption ne pourrait pas être réalisée.
Partant, après avoir établi la condition d’urgence, le Conseil d’État conclut qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision dès lors qu’elle ne peut satisfaire la condition prévue à l’alinéa 1er de l’article L. 213-11 du Code de l’urbanisme selon laquelle « les biens acquis par exercice du droit de préemption doivent être utilisés ou aliénés pour l’un des objets mentionnés au premier alinéa de l’article L. 210-1 ».
Notons que cette décision s’inscrit dans le cadre d’une procédure d’urgence. Il faudra donc attendre le prononcé au fond de l’affaire pour mieux apprécier le raisonnement retenu par le Conseil d’État en vue d’apprécier la légalité de la décision de préemption.
CE 19 avril 2022, n° 442150, Commune de Mandelieu-La-Napoule