Cheuvreux Paris

Droits réels de jouissance spéciale: déjà 10 ans !

21 Oct 2022 Newsletter

Dix ans, presque jour pour jour. Cela fait dix ans, depuis le 31 octobre 2012* précisément, que la Cour de cassation admet que l'on puisse librement, sous réserve des règles d'ordre public, constituer des droits réels spécifiques autres que ceux qui sont énoncés à l'article 543 du Code civil** ou qui procèdent d'une loi spéciale, des « droits réels de jouissance spéciale » (DRJS). De nouvelles perspectives furent ouvertes par le juge judiciaire avec cette décision qui autorise clairement à constituer des droits réels sur mesure dans des situations pour lesquelles les droits réels nommés (usufruit, droit d’usage et d’habitation, servitude, bail emphytéotique ou à construction, etc.) ne permettent pas de répondre aux objectifs des parties. Alors, dix ans après ce célèbre arrêt « Maison de la Poésie », après un petit nombre d’arrêts complémentaires, beaucoup d’encre et quelques expériences, que faut-il retenir sur les droits réels de jouissance spéciale ?

 

Ce que ne peut être un droit réel de jouissance spéciale

Pour apprécier avec pertinence le contour des droits réels de jouissance spéciale, encore faut-il déterminer ce qu’ils ne peuvent être.

Et, trêve d’illusion, les droits réels de jouissance spéciale ne peuvent être utilisés par les parties que si aucun droit réel nommé ne permet de conférer les attributs nécessaires à la réalisation du projet. Ils visent donc des situations très spécifiques, comme l’illustrent les exemples issues de la jurisprudence que nous présenterons infra.

Ils ne sont pas, sous couvert de caractère innovant, la solution miracle permettant de s’écarter d’un droit réel nommé ou de ses contraintes. C’est toute la portée de la mention «  sous réserve des règles d’ordre public » posé dans l’arrêt Maison de la Poésie.

Les DRJS ne peuvent être utilisés ni dans des situations pour lesquelles un droit réel nommé pourrait l’être ni pour « combler  les vides » laissés par les droits réels nommés. De même, les droits réels de jouissance spéciale ne peuvent être utilisés pour contourner certaines dispositions ou caractéristiques essentielles des droits réels nommés. Ils ne peuvent être utilisés pour contractualiser un droit qui emprunte toutes les caractéristiques d’un droit réel nommé, et, parallèlement, contourner les obligations issues du régime juridique de droits réels nommés.

Ainsi ne pourrait revêtir la forme d’un DRJS un contrat qui ne serait autre qu’un bail emphytéotique auquel serait greffé une destination contractuelle des constructions (existantes ou à édifier) incompatible avec ce type de bail ou une obligation impérative d’apporter des améliorations substantielles à un immeuble existant, également incompatible. Pareillement, ne pourrait revêtir la forme d’un DRJS un contrat qui ne serait autre qu’un usufruit constitué au profit d’une personne morale pour une durée de 40 ans, ou encore un contrat faisant fi du statut des baux commerciaux alors même que l’opération y serait soumise.

Dans la grande majorité des situations rencontrées, les droits réels nommés, et les marges de manœuvre contractuelles qu’ils offrent, permettent tout à fait de répondre aux attentes des parties. Le droit réel de jouissance spéciale est souvent mentionné en raison de son caractère innovant, mais il doit être manié avec une grande précaution et n’être utilisé que dans des cas très particuliers.

 

Ce que peut être un droit réel de jouissance spéciale

Prenons quelques exemples issues de la jurisprudence pour illustrer la spécificité des situations dans lesquelles les DRJS peuvent être appropriés :

  • le droit de jouir et d’occuper l’étage d’une maison consenti par son propriétaire à une fondation (Cass. 3ème civ. 31 octobre 2012, n° 11-16.304) ;
  • le droit d’usage sur un lot composé d’un transformateur de distribution électrique consenti par un syndicat des copropriétaires à ERDF (Cass. 3ème civ. 28 janvier 2015, n° 14-10.013) ;
  • un droit d’accès consenti par un copropriétaire à sa piscine au moins pendant la durée des vacances scolaires aux autres copropriétaires (Cass. 3ème civ. 7 juin 2018, n° 17-17.240), même s’il nous appartient de souligner le caractère particulièrement spécifique de cet arrêt se rapportant plus au droit de la copropriété qu’aux droits réels de jouissance spéciale.

Il apparaît alors clairement que ce droit réel peut être librement créé par la convention des parties dès lors qu’il confère la jouissance spéciale et particulière d’un bien à la personne qui en sera titulaire, ou impose des spécifications particulières, et dès lors, rappelons-le, qu’il ne s’agit pas de contourner les droits réels nommés dans leur champ d’application ou leurs caractéristiques.

Ce sont ces spécificités qui nous conduisent à pouvoir examiner la possibilité de recourir à ce droit pour organiser le foisonnement de places de stationnement par exemple.

 

Et quel est le régime juridique de ce droit lorsque celui-ci est approprié ?

La jurisprudence nous apprend que le régime juridique de ces droits est autonome notamment du régime de l’usufruit et du droit d’usage et d’habitation. Il s’agit d’une création prétorienne qui s’éloigne du régime juridique des droits nommés.

Les parties disposent donc d’une liberté contractuelle pour définir le contenu de ce droit. Il est important de veiller à bien décrire les contours, droits et obligations attachés au droit constitué. Des plans peuvent alors s’avérer nécessaire pour identifier le bien grevé ou encore le bien à protéger. En effet, deux types de DRJS pourraient être contractualisés :

  • ceux visant à offrir un droit de jouissance spéciale au titulaire – justifiant alors l’appellation de droit réel de jouissance spéciale –,
  • et ceux visant à imposer une charge réelle, une obligation de ne pas faire, le cas échéant au sein d’un autre acte (type vente) – pouvant justifier une appellation de charge réelle plus que de droit réel de jouissance spéciale.

La valorisation du droit dépendra de ses caractéristiques.

Cette liberté contractuelle est grande dès lors que les conditions issues de la jurisprudence relative à la durée sont respectées. Sur ce point, plusieurs enseignements peuvent être tirés des différents arrêts :

Face à ces principes, on ne peut que conseiller de stipuler une durée pour ce droit, laquelle pourra tout à fait aller au-delà de 30 ans en application de la jurisprudence, mais sans pouvoir être perpétuelle.

En définitive, en tant que droit réel, le droit réel de jouissance spéciale offre une certaine sécurité et une large souplesse dans la définition des droits et obligations ; il implique néanmoins une grande attention dans sa conception et la rédaction puisqu’il ne saurait être constitutif du détournement d’autres contrats constitutifs de droits réels nommés.

* Cass. 3ème civ. 31 octobre 2012, n° 11-16.304, « Maison de la Poésie I »

** Art. 543 du Code civil

 

Marie-Pierre CAYROCHE (Notaire)

Juliette MARION (Juriste Lab)

 




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