La réalisation d’un programme de logements mixtes peut justifier la mise en œuvre du droit de préemption urbain (DPU) sur un volume en sous-sol en vue d’aménager le stationnement requis en application des dispositions du plan local d’urbanisme (PLU).
Dans sa décision du 30 juin 2023, le Conseil d’État rappelle une nouvelle fois les conditions d’exercice du DPU et se prononce sur la grille d’analyse à appliquer pour juger de la légalité d’une décision de préemption au sens de l’article L. 210-1 du Code de l’urbanisme.
Rappelons à titre liminaire que l’article L. 210-1 du Code de l’urbanisme permet l’exercice du DPU en vue de la réalisation des actions ou opérations d’aménagement « répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 ». Parmi les objets définis à l’article L. 300-1 figure la mise en œuvre « d’une politique locale de l’habitat ».
Les faits sont les suivants. Un permis de construire est délivré pour la construction d’un programme de douze logements sociaux à Vincennes. La VINCEM, la société d’économie mixte de Vincennes, bénéficiaire du permis sollicite un permis de construire modificatif, réduisant le nombre de logements sociaux à sept dans l’objectif d’assurer l’équilibre financier du projet. Cette modification impose d’adjoindre des places de stationnement au programme dès lors qu’en application des dispositions du PLU celles-ci sont requises pour les logements autres que sociaux. Pour leur réalisation, le maire de Vincennes exerce le DPU sur un volume consistant en une surface de sous-sol, alors à usage d’aire de lavage pour véhicules situé à 230 m du terrain d’assiette du projet.
Déboutés en première instance puis en appel, les acquéreurs évincés demandent au Conseil d’État d’annuler cette décision. Le Conseil d’État rejette leur demande et confirme sa jurisprudence constante.
La présente décision précise qu’en l’espèce la réalité du projet doit être appréciée non au regard de la seule création de place de stationnement à l’adresse du bien préempté, « mais compte tenu des caractéristiques globales de l’opération d’aménagement à laquelle la création de ces places participe », à savoir la réalisation du programme de construction de douze logements, dont sept sociaux. De plus, le Conseil d’État reconnait que ce programme a, « par nature, pour objet la mise en œuvre d’une politique locale de l’habitat » et répond à ce titre à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme. Le juge apprécie ce dernier point en se fondant non seulement sur son objet mais également sur son ampleur et à sa consistance dans un contexte plus global. Autrement dit, pour qualifier le projet d’action ou d’opération d’aménagement, le juge tient compte des circonstances locales et se fonde, dans cette affaire, sur le fait que la commune de Vincennes est un territoire marqué par une forte pression spéculative étroitement liée à la raréfaction du foncier disponible, et comprenant un nombre de logements sociaux insuffisant au regard de sa taille.
En conséquence, le juge estime que l’exercice du DPU pour créer des stationnements répond bien à un intérêt général suffisant, et ce alors même que les places auraient pu être créées sur un parking public situé à 700 m du projet.
S’agissant de la prise en compte des circonstances locales par le juge, il convient d’indiquer qu’un arrêt rendu le même jour dans une affaire présentant des similitudes précise que le fait qu’une commune compte 40% de logements sociaux n’est pas de nature à faire obstacle à l’exercice du DPU visant à permettre la réalisation de 40 logements sociaux supplémentaires (CE 30 juin 2023, n° 468543).
Pour conclure, ces deux décisions du 30 juin 2023 s’inscrivent dans un raisonnement in concreto adopté par le juge suivant sa jurisprudence constante en la matière (CE 2 novembre 2015, n° 374957) pour qualifier un projet ayant justifié l’exercice d’une préemption d’« action » ou d’ « opération d’aménagement » et fondé sur une approche intrinsèque de l’opération tenant à son objet, sa consistance, son ampleur, et le cas échéant à sa cohérence sans l’action d’ensemble de la collectivité.