Appelées tant par la pratique que par la doctrine, les premières mesures correctrices ont été adoptées par le Gouvernement : l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 vient compléter, préciser ou modifier certaines dispositions de l’ordonnance n°2020-306 relative aux délais. Elle est complétée par une circulaire publiée le 17 avril par le Ministère de la Justice permettant d’obtenir quelques pistes d’interprétation parfois nécessaires. Qu’en retenir en ce qui concerne les contrats immobiliers ?
Pour une analyse détaillée, retrouvez sur ce lien la vidéo de la table ronde “Contrats immobiliers et contrats de la construction, où en est-on ?”.
On peut tout d’abord saluer une clarification importante : les délais de rétractation, de réflexion et de renonciation sont exclus du report des délais de l’article 2 de l’ordonnance 2020-306. Les débats allaient jusque-là bon train, tant la rédaction dudit article 2, voulue très large, semblait pouvoir englober ces délais. Il s’agit, nous dit le texte, d’une interprétation de l’ordonnance d’origine : ces délais doivent être considérés comme n’avoir jamais été inclus dans le report. Ce qui pourrait placer certains acquéreurs dans une situation délicate, qui pensaient se rétracter valablement après l’expiration du délai de 10 jours initial peut-être reporté, mais qui se trouvent être tardifs…et donc engagés !
Parmi les bonnes nouvelles, on soulignera ensuite la prise en compte, par la modification de l’article 4, de deux difficultés touchant aux clauses sanctionnant les inexécutions contractuelles (autres que monétaires). D’une part, l’ordonnance du 15 avril supprime purement et simplement le délai forfaitaire (un mois) de suspension de ces clauses. Il est remplacé par une formule invitant à une appréciation in concreto pour déterminer la durée à l’issue de laquelle ces clauses pourront prendre effet après la fin de la période juridiquement protégée. D’autre part, le Gouvernement a entendu les difficultés rencontrées dans les contrats à exécution successive et impactant fortement, notamment, le monde de la construction avec les contrats de VEFA, CPI et autres marchés de travaux. L’article 4 de l’ordonnance n°2020-427 étend ainsi la suspension susvisée aux prestations restant à accomplir au-delà de l’expiration de la période juridiquement protégée.
Si l’on ne parvient pas à une suspension pure et simple de tous les délais contractuels objets d’une sanction ou entraînant une extinction de droits ou de relation contractuelle, qui aurait restauré une sérénité loin d’être superfétatoire dans la période actuelle, les avancées méritent d’être saluées. Elles montrent qu’il est possible d’obtenir des améliorations : à nous tous, praticiens, de continuer à remonter au Gouvernement les difficultés qui impactent le monde économique, d’autant que celui-ci a clairement laissé entendre que des mesures de sortie seraient adoptées.
Certaines zones restent cependant encore troubles et l’on en citera ici deux.
La première concerne la condition suspensive d’obtention de prêt « Scrivener » : les termes de l’ordonnance du 15 avril n’apportant pas d’éclaircissement à son égard, le débat restait donc ouvert (voir à ce sujet la newsletter Cheuvreux du 3 avril 2020). Toutefois, nous connaissons désormais l’interprétation que retient la Chancellerie sur ce point particulier, par l’intermédiaire d’une fiche pratique publiée avec la circulaire du 17 avril : cette condition suspensive n’est pas concernée par le report des délais. Le raisonnement proposé, qui repose sur le caractère contractuel de la condition, laisse songeur puisque dès lors qu’un acquéreur indique vouloir recourir à un prêt, la loi impose cette condition suspensive ! Que les parties puissent l’aménager contractuellement n’en change pas, nous semble-t-il, l’origine légale… Dans ce contexte, les vendeurs auront tout intérêt à octroyer une prorogation demandée par un acquéreur, en la négociant de bonne foi, plutôt que de risquer que leur cocontractant déçu tente d’obtenir du juge une interprétation de l’article 2 qui lui soit plus favorable…
La seconde est la plus délicate dans la mesure où tant le rapport de présentation au Président de la République de la nouvelle ordonnance que la circulaire publiée par la Chancellerie le 17 avril sont muets sur ce sujet. Il s’agit des droits de préemption des personnes privées (voir sur la question de leur soumission à l’article 2 de l’ordonnance 2020-306, newsletter Cheuvreux du 3 avril 2020). A la lecture des modifications apportées par l’ordonnance du 15 avril rien ne permet à notre sens d’obtenir un signe en faveur de leur exclusion du report organisé par l’article 2. Il est clair en effet qu’il ne s’agit ni de délais de rétractation ou de réflexion, ni de délais de renonciation, mais bien de délais offerts au bénéficiaire pour accepter une offre d’acquisition. A défaut d’obtenir une clarification dans le sens, raisonnable et souhaité, d’une absence d’application du report des délais, la prudence commande donc de continuer à obtenir une renonciation expresse des locataires ou preneurs concernés, une fois le délai légal pour préempter écoulé – en espérant ne pas avoir à négocier avec un bénéficiaire mal intentionné ou voyant ici une aubaine pour monnayer des conditions avantageuses à son profit… Ô bonne foi quand tu nous tiens !
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Nous ne manquerons pas de vous tenir informés des éventuelles modifications, précisions ou interprétations qui pourront être apportées aux dispositions des ordonnances précitées.
Dans cette attente, portez-vous bien,
Les équipes de CHEUVREUX