Le Conseil d’État précise comment la recevabilité d’un recours à l’encontre des cartes d’aléa, élaborées par l’État ou pour son compte, est appréciée par le juge.
En 2015, en conséquence d’une nouvelle cartographie des aléas concernant les risques de glissement de terrains, établie par le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), plusieurs propriétaires voient leurs parcelles reclassées en zone d’aléa fort – lesdites parcelles étaient jusqu’alors classées en zone d’aléa faible et moyen par un plan de prévention des risques de mouvements de terrains (PPRMT) de 1992.
Suite à la délivrance d’un certificat d’urbanisme négatif relatif à un projet situé sur leurs parcelles, les propriétaires saisissent le juge des référés qui ordonne une expertise afin d’évaluer le niveau de risque effectif de glissement de terrain sur les parcelles en question. A l’appui de cette expertise judiciaire, les propriétaires saisissent la préfecture de Lot-et-Garonne d’une demande de modification de la cartographie. Contrairement au Tribunal administratif de Bordeaux, qui avait jugé leur demande irrecevable car dirigée contre un acte ne faisant pas grief, la cour administrative d’appel de Bordeaux annule la décision implicite de rejet née du silence gardé par la préfecture et l’enjoint, sous réserve d’un changement dans les circonstances de droit ou de fait, de modifier le classement des parcelles. La ministre de la transition écologique se pourvoit en cassation.
Dans la présente affaire, le Conseil d’État précise comment la recevabilité d’un recours à l’encontre des cartes d’aléa, élaborées par l’État ou pour son compte, est appréciée par le juge.
Pour juger susceptibles de recours pour excès de pouvoir tant la carte d’aléa « glissement de terrain » que le refus opposé par la préfète de la modifier, le Conseil d’État souligne que la cartographie en question et les termes dont la préfète a assorti le porter à connaissance :
- d’une part orientent « de manière significative les autorités compétentes dans l’instruction des autorisations d‘urbanisme » ;
- et d’autre part sont « de nature à influer sur la valeur vénale des terrains concernées ».
En outre, le Conseil d’État met en évidence le fait que cette cartographie n’a pas le caractère d’un acte préparatoire destiné à permettre d’apprécier l’opportunité d’une révision du PPRMT – autrement dit, il ne s’agit pas d’un acte insusceptible de recours – dès lors que cet acte ne s’inscrit pas dans un processus de révision d’un tel plan.
La présente décision est une application de la jurisprudence GISTI (CE 12 juin 2020 GISTI, n° 418142) par laquelle le Conseil d’État a jugé que les documents dit « de portée générale » – qu’il s’agisse de circulaires, d’instructions, de recommandations, de notes, de présentations ou d’interprétations du droit positif – sont susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre.
En l’espèce, si la carte d’aléa ne revêt pas de caractère opposable en tant que telle, il n’en reste pas moins qu’elle a des effets concrets sur l’instruction des autorisations d’urbanisme. En effet, dans le cadre de l’instruction des demandes d’autorisation, les services instructeurs sont invités à s’appuyer sur l’ensemble des éléments d’information à leur disposition et non seulement sur ceux figurant dans un PPRMT en vigueur. Partant, se fondant sur la portée concrète du document litigieux, au regard, notamment, des circonstances de sa publication et du commentaire l’accompagnant, les conseillers lui reconnaissent le caractère de document faisant grief.
Enfin, jugeant l’affaire au fond, le Conseil d’État confirme l’analyse de la Cour administrative d’appel suivant laquelle, compte tenu de la faible prédisposition des lieux au glissement de terrain et en l’absence d’élément aggravant, les parcelles auraient dû être classées en aléa moyen et faible.
Cet arrêt du Conseil d’État rappelle que la recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir contre un document dit « de portée générale » s’apprécie de façon casuistique en fonction de sa portée concrète sur la situation des requérants.