Par un arrêt du 28 septembre 2023, la Cour administrative d'appel de Nancy considère qu’un projet de construction de logements sociaux ne remplit pas automatiquement la condition de raison impérative d’intérêt public majeur, dans le cadre d’une demande de dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées nécessaire à la mise en œuvre desdits logements.
Dans le cas d’espèce, les sociétés SA HLM Batigère et SA Maison familiale Batigère sont bénéficiaires de permis de construire trois bâtiments comprenant des logements sociaux. Des spécimens de salamandres tachetées – espèce protégée – étant présents à proximité du site du projet, une demande de dérogation à l’interdiction d’y porter atteinte est déposée par lesdites sociétés. Par deux arrêtés du 16 novembre 2018, le préfet autorise les sociétés à déroger à l’interdiction de capture avec relâché et de destruction des spécimens.
Un recours de l’association « La Salamandre de l’Asnée » et de soixante riverains est déposé contre ces arrêtés devant le Tribunal administratif de Nancy qui annule les arrêtés préfectoraux litigieux.
Les deux sociétés font appel de ce jugement en soutenant notamment que la raison impérative d’intérêt public majeur justifiant que le projet déroge à l’interdiction est constituée par la construction de seize logements en accession sociale et de soixante logements locatifs sociaux. En outre, la réalisation de ce programme de logement social permettrait à la commune d’atteindre l’objectif de 20% fixé par la loi SRU et de répondre aux objectifs de mixité sociale prévus par le programme local de l’habitat durable (PLH). Elles arguent également qu’aucune autre solution satisfaisante d’implantation n’existe sur la commune permettant la construction de ces logements.
Après avoir rappelé les conditions cumulatives nécessaires à l’obtention d’une telle dérogation et les prescriptions de l’article 3 de l’arrêté du 8 janvier 2021 fixant la liste des amphibiens et des reptiles protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection, le juge administratif précise qu’en l’espèce, « l’intérêt public de la construction de logements sociaux ne répond pas à une raison impérative d’intérêt public majeur ».
Pour rappel, pour bénéficier d’une telle dérogation, selon les dispositions de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement, il ne doit pas exister de solution alternative satisfaisante, la dérogation ne doit pas nuire au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et elle doit répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur.
Or, selon les pièces du dossier, bien que ce projet puisse permettre de concourir à la poursuite des objectifs d’intérêt public d’aménagement durable et de politique du logement social, la commune a d’ores et déjà satisfait aux exigences de la loi SRU à la date de la décision attaquée.
En outre, aucun élément :
- ne précise l’affirmation selon laquelle, sans ce projet ces objectifs ne pourraient être atteints qu’au détriment des terres agricoles environnantes ;
- ne démontre que la métropole du Grand Nancy connaît une situation de tension en matière de logement social en raison d’une hausse démographique prévisible d’un besoin non satisfait.
Il n’est pas établi non plus que ce projet aurait pu être réalisé sur une emprise foncière moins attentatoire à la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage alors que d’autres sites qui permettent le développement de ces projets existent.
Dès lors, la Cour administrative d’appel a suivi les conclusions de Madame Sandrine Antoniazzi, en confirmant l’annulation des arrêtés délivrant ladite dérogation. Les conclusions précisent « qu’en dépit de l’intérêt certain que représente la création de logements sociaux, à destination des populations les plus fragiles et des effets positifs attendus pour la mixité sociale, le projet de construction en cause, ne constituait pas une raison impérative d’intérêt public majeur pouvant justifier qu’il soit dérogé à la législation assurant l’objectif de conservation de la faune sauvage ».
Madame la rapporteure publique rappelle notamment la décision du Conseil d’État du 3 juin 2020 (Ministre de la Transition écologique et solidaire, Société La Provençale, n° 425395, 425399, 425425) par laquelle l’intérêt public majeur doit être d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la législation, justifiant qu’il y soit dérogé.
CAA Nancy 28 septembre 2023, n° 20NC03693