Dans un arrêt rendu le 13 octobre 2023, le Conseil d’État juge sans effet une délibération visant à classer un atelier-relais dans le domaine public, alors que ce bien ne remplirait pas les conditions d’appartenance au domaine public.
Dans cette affaire, la commune de Rives-sur-Yon conclut avec une société, en 2000, un contrat de crédit-bail immobilier d’une durée de quinze ans, portant sur un terrain supportant un atelier-relais appartenant à la commune. Le contrat ouvre également une option d’achat du terrain à la société à compter de sa huitième année.
Le conseil municipal adopte, 21 ans après la conclusion dudit contrat, une délibération visant à classer le terrain dans son domaine public, et saisit le juge des référés de la juridiction administrative afin d’obtenir l’expulsion de l’occupant.
La compétence du juge administratif pour expulser l’occupant dépend donc de la qualification domaniale du bien occupé.
Le Conseil d’État, confirmant sa jurisprudence antérieure, considère que « si la construction d’ateliers-relais par une commune a pour objet de favoriser son développement économique en complétant ses facultés d’accueil des entreprises et relève donc d’une mission de service public, cette circonstance ne suffit en revanche pas à faire regarder ces ateliers, qui ont vocation à être loués ou cédés à leurs occupants, comme étant affectés, une fois construits, à un service public et, sous réserve qu’ils aient fait l’objet d’un aménagement spécial ou indispensable, à les incorporer de ce seul fait dans le domaine public de la commune » (CE 11 juin 2004, n° 261260 Commune de Mantes-la-Jolie ; v. également CAA Lyon 29 mai 2008 n° 05LY01666 ; CAA Lyon 9 juillet 2008 n° 05LY01207, CAA Bordeaux, 20 novembre 2008, n° 07BX00046).
Les ateliers-relais ne remplissent donc pas les conditions d’appartenance au domaine public, ni en application des critères jurisprudentiels antérieurs à l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), ni en application des critères posés par l’article L. 2111-1 de ce code.
Le Conseil d’État a cependant pu retenir l’appartenance au domaine public d’un atelier-relais lorsque le conseil municipal adopte une délibération par laquelle il classe l’atelier-relais dans son domaine public (CE 26 mars 2008, n° 298033 : « Considérant que lorsqu’un bien appartenant à une personne publique a été incorporé dans son domaine public par une décision de classement, il ne cesse d’appartenir à ce domaine sauf décision expresse de déclassement (…) que les ateliers occupés par la société Lucofer ont fait l’objet d’une décision de classement dans le domaine public communal par délibération du conseil municipal ; que, par suite, sont sans incidence sur cette appartenance au domaine public les critères issus de la jurisprudence du Conseil d’État et tirés notamment de ce que ces ateliers auraient vocation à être loués ou cédés à leurs occupants ou que les baux consentis en vue de leur occupation revêtiraient le caractère de contrats de droit privé »).
Cependant, en l’occurrence, le Conseil d’État refuse de reconnaître l’appartenance au domaine public de l’atelier-relais. En effet, il retient que « le bien immobilier (…) était (…) un atelier-relais édifié par la commune pour les besoins de la société (…), qu’il n’était pas affecté à l’usage direct du public et ne pouvait être regardé comme affecté à un service public pour les besoins duquel il aurait fait l’objet d’aménagements spéciaux ou indispensables ».
A cet égard, l’adoption d’une délibération « prononçant le classement de ce bien dans le domaine public communal, (…) ne pouvait avoir par elle-même pour effet de conférer le caractère d’une dépendance du domaine public à un bien ne satisfaisant pas aux critères » d’appartenance au domaine public, ladite délibération « ne [faisant] pas (…) état d’une intention d’affecter le bien en litige à un service public ».
L’adoption d’une délibération visant à classer l’atelier-relais dans le domaine public ne peut donc avoir pour effet d’y incorporer un bien ne satisfaisant pas aux critères d’appartenance domaniale.
Plusieurs arguments peuvent être avancés pour justifier cette analyse, qui diffère de celle dégagée par le Conseil d’État dans son arrêt du 26 mars 2008.
En premier lieu, la solution est conforme à l’article L. 2111-3 du CG3P, qui indique que « tout acte de classement ou d’incorporation d’un bien dans le domaine public n’a d’autre effet que de constater l’appartenance de ce bien au domaine public ». Or, une délibération ne peut constater l’appartenance d’un bien au domaine public, lorsque les critères de cette appartenance ne sont pas remplis.
En second lieu, la solution dégagée par le Conseil d’État permet de protéger le cocontractant de l’administration, au profit duquel une promesse unilatérale de cession avait été stipulée au sein du contrat de crédit-bail immobilier. Or, la reconnaissance de la domanialité publique du bien aurait eu avoir pour effet de le rendre inaliénable, faisant ainsi obstacle à la cession du bien au preneur.
Une telle position jurisprudentielle constitue donc un garde-fou contre la potentielle mauvaise foi de l’administration, qui souhaiterait classer un bien dans son domaine public dans le seul but d’échapper à ses obligations contractuelles. D’autant plus qu’en l’espèce, il ressortait des écritures que la commune entendait céder le bien – comprenons, à un tiers – postérieurement à sa libération.